Le récit de “Lil’ d”

By Christine Kerrigan

PHOTO : Christine Kerrigan (le 5 juin 2020) - L’un de ces canetons n’est pas comme les autres.

PHOTO : Christine Kerrigan (le 5 juin 2020) - L’un de ces canetons n’est pas comme les autres.

À la fonte des neiges, à la percée des crocus violets, au raccourcissement des manches, j'ai repris mon rituel matinal de visite du parc dans mon quartier de Montréal, le Parc La Fontaine. Cette année, cependant, ne ressemblait à aucune autre. Le monde était en pleine pandémie de COVID-19. Les rues étaient désertes - cafés, terrasses, magasins, et restaurants fermés - et le paysage sonore urbain était dépourvu de la rumeur familière de la circulation routière. 

À chaque fois que j’ai traversé la piste cyclable pour entrer dans le parc, un sentiment de gratitude m’a submergée. J'avais envie de faire un "coude à coude COVID-19" à la personne ou l'équipe de projet qui avait la prévoyance de préserver cette oasis naturelle au cœur de notre quartier urbain et résidentiel.

Mon rituel matinal au parc commence souvent par une brève escale auprès des ornithologues locaux afin d’obtenir les dernières nouvelles (“5 bébés canetons viennent de tomber de cet arbre et un merlin visite le parc cette semaine.”). Non seulement je ne savais pas que les canards pondaient des œufs dans les arbres, mais je n’avais non plus aucune idée que des faucons visitaient ou vivaient dans ce parc.

Un matin vers la fin du mois de mai, je marchais à grands pas quand mon regard fut attiré par quelque chose d'inhabituel. Il y avait une famille de canetons colverts blottis ensemble à côté de leur maman sur le côté de l'étang. L'un de ceux-ci n'était cependant pas comme les autres. Son duvet était d'un jaune vif, au contraire de tous les autres canetons, dont le plumage était d’un brun luxuriant marbré de beige et de noir. Bien sûr, je me suis immédiatement demandée : "Existe-t-il des canards albinos ? Ou est-ce que ce petit s'est perdu et pour se retrouver adopté par une nouvelle famille ?" J'étais intriguée et je voulais absolument en savoir davantage. "Est-ce que ses frères et sœurs et ses parents savaient qu'il n'était pas comme les autres ? Le traiteraient-ils différemment ?" Hélas, mon itinéraire d'exercice quotidien s'est transformé en une séance de science citoyenne sur l'ethnographie des canards, et j’ai un peu commencé à me sentir comme la Jane Goodall de la sauvagine.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 5 juin 2020) - Excellente tentative de camouflage, mais le jaune vif est difficile à cacher.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 5 juin 2020) - Excellente tentative de camouflage, mais le jaune vif est difficile à cacher.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 2 juin 2020) - La cane apprend à ses canetons à naviguer autour de l’étang.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 2 juin 2020) - La cane apprend à ses canetons à naviguer autour de l’étang.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 2 juin 2020) - “Lil’d”est plus petit que les autres, mais il arrive à suivre le peloton. Au fil du temps, il devient l’expert en nage parmi ses frères et soeurs.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 2 juin 2020) - “Lil’d”est plus petit que les autres, mais il arrive à suivre le peloton. Au fil du temps, il devient l’expert en nage parmi ses frères et soeurs.

VIDÉO : Christine Kerrigan (le 21 juin) - "Lil' d" est très exigeant sur son hygiène.

En mai, juin et juillet, j'ai commencé à photographier et à prendre des notes de mes observations de "Lil' d" (mon surnom pour lui), sa famille, et leurs interactions. D’après ce que j'ai observé, "Lil' d" se fondait avec ses frères et sœurs et ne semblait pas être ostracisé ou traité différemment des autres.

Au fur et à mesure, j'ai appris que "Lil' d" avait un autre frère jaune au début de mai qui avait "disparu comme par magie". Malheureusement, les bébés canetons ont bien plus de prédateurs que je ne l'avais imaginé et les faucons ne sont pas les seuls suspects. J'étais choquée et quelque peu horrifiée d'apprendre que même les mouettes et les écureuils s'attaquent aux bébés canetons. Quoi ??? Je ne le savais pas et je ne peux plus voir les écureuils de la même manière depuis. C'est pour cela que les canards pondent souvent leurs œufs dans les arbres. Les canes déposent même quelques œufs dans le nid d'une autre au cas où leur propre nid serait attaqué. Étonnamment, la cane ne revient jamais pour les œufs qu'elle a déposés dans l'autre nid et la nouvelle maman élève les canetons comme les siens. Quels faits fascinants ! J'ai appris cela dans un documentaire de Nature sur les canards, que je ne pouvais bien sûr pas ne pas regarder. Je sentais que la détective Kerrigan était sur le point de découvrir comment "Lil’ d" s’était retrouvé si différent de ses frères et sœurs. Cependant, ma théorie a été réfutée par l'un des ornithologues locaux du parc, qui m’a expliqué que c'était sûrement plus le résultat d'une mutation génétique. Donc, la question de la généalogie et de la génétique de "Lil 'd" reste en suspens.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 6 juin 2020) - “Lil’d”a autant d’énergie que le lapin Energizer.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 6 juin 2020) - “Lil’d”a autant d’énergie que le lapin Energizer.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 6 juin 2020) -  Il est très curieux et n’a pas peur de s’aventurer tout seul.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 6 juin 2020) -  Il est très curieux et n’a pas peur de s’aventurer tout seul.

Pendant la pandémie, de nombreux résidents locaux se sont tournés vers le Parc La Fontaine pour faire de l'exercice, prendre une pause, se détendre, jouer de la musique, socialiser à distance, et éduquer leurs enfants. "Lil d" est devenu une sorte de célébrité, car il est visible de l'autre côté de l'étang et plutôt difficile à manquer. Que ce soit enfants ou adultes, tous ont été fascinés par son arrivée et désirent le voir s'épanouir (en particulier pour ceux qui connaissent le destin de son frère). Plusieurs membres de son fan club lui ont même donné leurs propres surnoms tels que "Jaune Val Jaune", "Junior", "Duckster", “Coco”, "Henrietta", “Blondin”, et bien sûr "Lil' d". Au cours de mes fréquentes séances de photographie, j'ai rencontré plusieurs de ses fans qui aiment raconter ses derniers progrès, traits de personnalité originaux et escapades autour de l'étang. En cette période de crise sanitaire mondiale, de bouleversements économiques et de troubles sociaux, "Lil’ d" donne aux gens un Petit Poucet à soutenir et une échappatoire passagère aux nouvelles sombres et à la difficile réalité d’aujourd’hui. En fait, j'ai rencontré un certain nombre de personnes qui se promènent maintenant régulièrement autour de l'étang pour lui rendre visite.

Depuis son enfance, il a fait preuve d'une connaissance de soi remarquable concernant son manque de camouflage qui fait de lui une proie facile. J'ai observé qu’à chaque rassemblement familial avec les colverts, il s'asseyait rarement au bout. Au début, il se blottissait même au milieu de ses cinq frères et sœurs. Son envergure avec les ailes déployées étant moins larges que les autres, il n'atteignait souvent pas la vitesse et la puissance de vol nécessaires pour se propulser hors de l’eau jusqu'au rebord en béton de l'étang. En conséquence, il a passé plus de temps dans l'eau et est devenu un champion de la nage, de la plongée, et du glanage. Je ne suis pas la seule à avoir constaté qu'il semble plus indépendant et curieux que ses frères et sœurs. En outre, il n'aime pas se tenir tranquille très longtemps

PHOTO: Christine Kerrigan (le 12 juin 2020) - Il réfléchit minutieusement à la meilleure façon de se placer au milieu de la nichée.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 12 juin 2020) - Il réfléchit minutieusement à la meilleure façon de se placer au milieu de la nichée.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 12 juin 2020) - Il utilise la technique éprouvée de la montée sur la pile.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 12 juin 2020) - Il utilise la technique éprouvée de la montée sur la pile.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 12 juin 2020) - Mission accomplie et place préférée atteinte.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 12 juin 2020) - Mission accomplie et place préférée atteinte.

Je suis heureuse d'annoncer que, à date du 15 juillet, "Lil d" n'est plus si petit. Il a considérablement grandi et ses plumes sont passées du jaune au blanc de la neige fraîche. S'il décide de passer l'hiver à Montréal, ses chances de camouflage seront certainement bien meilleures (avec les chaussures et le couvre-bec appropriés, bien sûr). Il a fait de grands progrès dans ses efforts de sortis d’eau pour atteindre le bord de l'étang afin de rejoindre ses autres frères et sœurs et sa mère colvert pour les siestes familiales quotidiennes. Bien sûr, certains rebords présentent encore occasionnellement un défi, mais j'ai le sentiment que d’ici fin août, aucun rebord ne sera trop haut pour lui.

 PHOTO: Christine Kerrigan (June 16, 2020) - Les canetons ont beaucoup grandi ces dernières semaines.

 PHOTO: Christine Kerrigan (June 16, 2020) - Les canetons ont beaucoup grandi ces dernières semaines.

 PHOTO: Christine Kerrigan (June 20, 2020) -  Les plumes de “Lil’d” sont passées du jaune au blanc pur.

 PHOTO: Christine Kerrigan (June 20, 2020) -  Les plumes de “Lil’d” sont passées du jaune au blanc pur.

 PHOTO: Christine Kerrigan (le 3 juillet 2020) - Ce n’est pas inhabituel de le voir se reposer les yeux ouverts. Maintenant grand, il s’assoit parfois au bout.

 PHOTO: Christine Kerrigan (le 3 juillet 2020) - Ce n’est pas inhabituel de le voir se reposer les yeux ouverts. Maintenant grand, il s’assoit parfois au bout.

 PHOTO: Christine Kerrigan (le 7 juillet 2020) -  “Lil’d” cherche la meilleure stratégie pour grimper.

 PHOTO: Christine Kerrigan (le 7 juillet 2020) -  “Lil’d” cherche la meilleure stratégie pour grimper.

VIDÉO : Christine Kerrigan (le 7 juillet) - “Lil’ d” examine le rebord de l’étang, puis décide qu’il n’est pas encore prêt à l’escalader. Chaque chose en son temps.

 PHOTO: Christine Kerrigan (le 7 juillet 2020) -  Il y était presque, mais il est retombé dans l’eau et a décidé de nager autour de l’étang.

 PHOTO: Christine Kerrigan (le 7 juillet 2020) -  Il y était presque, mais il est retombé dans l’eau et a décidé de nager autour de l’étang.

 PHOTO: Christine Kerrigan (le 10 juillet 2020) - Il reste plus petit que ces frères et soeurs, mais cela ne le retient pas.

 PHOTO: Christine Kerrigan (le 10 juillet 2020) - Il reste plus petit que ces frères et soeurs, mais cela ne le retient pas.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 14 juillet 2020) – On ne peut pas le manquer au moment du souper.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 14 juillet 2020) – On ne peut pas le manquer au moment du souper.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 14 juillet 2020) –  Il ne renonce jamais facilement quand il est question de nourriture.

PHOTO: Christine Kerrigan (le 14 juillet 2020) –  Il ne renonce jamais facilement quand il est question de nourriture.

VIDÉO : Christine Kerrigan (le 1 juillet) - "Lil’ d" est confiant et prêt à conquérir le monde.

VIDEO : Christine Kerrigan (le 19 juillet) - “Lil’ d” a réussi à grimper le rebord de l’étang! J’adore son façon de se préparer pour le défi.

Le parcours de ce drôle d'oiseau a apporté beaucoup de plaisir à tant de monde à une période où le public a vraiment besoin d'espoir et de joie. Merci "Lil’ d" et à bientôt !

Cet article est dédié à tous les drôles d'oiseaux. Que votre façon de voir et de vivre le monde différemment se révèle être l'une de vos plus grandes forces.

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