Le récit de “Lil’ d”
By Christine Kerrigan
À la fonte des neiges, à la percée des crocus violets, au raccourcissement des manches, j'ai repris mon rituel matinal de visite du parc dans mon quartier de Montréal, le Parc La Fontaine. Cette année, cependant, ne ressemblait à aucune autre. Le monde était en pleine pandémie de COVID-19. Les rues étaient désertes - cafés, terrasses, magasins, et restaurants fermés - et le paysage sonore urbain était dépourvu de la rumeur familière de la circulation routière.
À chaque fois que j’ai traversé la piste cyclable pour entrer dans le parc, un sentiment de gratitude m’a submergée. J'avais envie de faire un "coude à coude COVID-19" à la personne ou l'équipe de projet qui avait la prévoyance de préserver cette oasis naturelle au cœur de notre quartier urbain et résidentiel.
Mon rituel matinal au parc commence souvent par une brève escale auprès des ornithologues locaux afin d’obtenir les dernières nouvelles (“5 bébés canetons viennent de tomber de cet arbre et un merlin visite le parc cette semaine.”). Non seulement je ne savais pas que les canards pondaient des œufs dans les arbres, mais je n’avais non plus aucune idée que des faucons visitaient ou vivaient dans ce parc.
Un matin vers la fin du mois de mai, je marchais à grands pas quand mon regard fut attiré par quelque chose d'inhabituel. Il y avait une famille de canetons colverts blottis ensemble à côté de leur maman sur le côté de l'étang. L'un de ceux-ci n'était cependant pas comme les autres. Son duvet était d'un jaune vif, au contraire de tous les autres canetons, dont le plumage était d’un brun luxuriant marbré de beige et de noir. Bien sûr, je me suis immédiatement demandée : "Existe-t-il des canards albinos ? Ou est-ce que ce petit s'est perdu et pour se retrouver adopté par une nouvelle famille ?" J'étais intriguée et je voulais absolument en savoir davantage. "Est-ce que ses frères et sœurs et ses parents savaient qu'il n'était pas comme les autres ? Le traiteraient-ils différemment ?" Hélas, mon itinéraire d'exercice quotidien s'est transformé en une séance de science citoyenne sur l'ethnographie des canards, et j’ai un peu commencé à me sentir comme la Jane Goodall de la sauvagine.
En mai, juin et juillet, j'ai commencé à photographier et à prendre des notes de mes observations de "Lil' d" (mon surnom pour lui), sa famille, et leurs interactions. D’après ce que j'ai observé, "Lil' d" se fondait avec ses frères et sœurs et ne semblait pas être ostracisé ou traité différemment des autres.
Au fur et à mesure, j'ai appris que "Lil' d" avait un autre frère jaune au début de mai qui avait "disparu comme par magie". Malheureusement, les bébés canetons ont bien plus de prédateurs que je ne l'avais imaginé et les faucons ne sont pas les seuls suspects. J'étais choquée et quelque peu horrifiée d'apprendre que même les mouettes et les écureuils s'attaquent aux bébés canetons. Quoi ??? Je ne le savais pas et je ne peux plus voir les écureuils de la même manière depuis. C'est pour cela que les canards pondent souvent leurs œufs dans les arbres. Les canes déposent même quelques œufs dans le nid d'une autre au cas où leur propre nid serait attaqué. Étonnamment, la cane ne revient jamais pour les œufs qu'elle a déposés dans l'autre nid et la nouvelle maman élève les canetons comme les siens. Quels faits fascinants ! J'ai appris cela dans un documentaire de Nature sur les canards, que je ne pouvais bien sûr pas ne pas regarder. Je sentais que la détective Kerrigan était sur le point de découvrir comment "Lil’ d" s’était retrouvé si différent de ses frères et sœurs. Cependant, ma théorie a été réfutée par l'un des ornithologues locaux du parc, qui m’a expliqué que c'était sûrement plus le résultat d'une mutation génétique. Donc, la question de la généalogie et de la génétique de "Lil 'd" reste en suspens.
Pendant la pandémie, de nombreux résidents locaux se sont tournés vers le Parc La Fontaine pour faire de l'exercice, prendre une pause, se détendre, jouer de la musique, socialiser à distance, et éduquer leurs enfants. "Lil d" est devenu une sorte de célébrité, car il est visible de l'autre côté de l'étang et plutôt difficile à manquer. Que ce soit enfants ou adultes, tous ont été fascinés par son arrivée et désirent le voir s'épanouir (en particulier pour ceux qui connaissent le destin de son frère). Plusieurs membres de son fan club lui ont même donné leurs propres surnoms tels que "Jaune Val Jaune", "Junior", "Duckster", “Coco”, "Henrietta", “Blondin”, et bien sûr "Lil' d". Au cours de mes fréquentes séances de photographie, j'ai rencontré plusieurs de ses fans qui aiment raconter ses derniers progrès, traits de personnalité originaux et escapades autour de l'étang. En cette période de crise sanitaire mondiale, de bouleversements économiques et de troubles sociaux, "Lil’ d" donne aux gens un Petit Poucet à soutenir et une échappatoire passagère aux nouvelles sombres et à la difficile réalité d’aujourd’hui. En fait, j'ai rencontré un certain nombre de personnes qui se promènent maintenant régulièrement autour de l'étang pour lui rendre visite.
Depuis son enfance, il a fait preuve d'une connaissance de soi remarquable concernant son manque de camouflage qui fait de lui une proie facile. J'ai observé qu’à chaque rassemblement familial avec les colverts, il s'asseyait rarement au bout. Au début, il se blottissait même au milieu de ses cinq frères et sœurs. Son envergure avec les ailes déployées étant moins larges que les autres, il n'atteignait souvent pas la vitesse et la puissance de vol nécessaires pour se propulser hors de l’eau jusqu'au rebord en béton de l'étang. En conséquence, il a passé plus de temps dans l'eau et est devenu un champion de la nage, de la plongée, et du glanage. Je ne suis pas la seule à avoir constaté qu'il semble plus indépendant et curieux que ses frères et sœurs. En outre, il n'aime pas se tenir tranquille très longtemps
Je suis heureuse d'annoncer que, à date du 15 juillet, "Lil d" n'est plus si petit. Il a considérablement grandi et ses plumes sont passées du jaune au blanc de la neige fraîche. S'il décide de passer l'hiver à Montréal, ses chances de camouflage seront certainement bien meilleures (avec les chaussures et le couvre-bec appropriés, bien sûr). Il a fait de grands progrès dans ses efforts de sortis d’eau pour atteindre le bord de l'étang afin de rejoindre ses autres frères et sœurs et sa mère colvert pour les siestes familiales quotidiennes. Bien sûr, certains rebords présentent encore occasionnellement un défi, mais j'ai le sentiment que d’ici fin août, aucun rebord ne sera trop haut pour lui.
Le parcours de ce drôle d'oiseau a apporté beaucoup de plaisir à tant de monde à une période où le public a vraiment besoin d'espoir et de joie. Merci "Lil’ d" et à bientôt !
Cet article est dédié à tous les drôles d'oiseaux. Que votre façon de voir et de vivre le monde différemment se révèle être l'une de vos plus grandes forces.