Piétons et Pop-up
By Christine Kerrigan
Avenue Mont-Royal, Montréal (30 juillet – 15 août 2020), PHOTOS CHRISTINE KERRIGAN
En avril, j'ai écrit un article sur le corridor sanitaire qui a été piloté et installé sur l'avenue du Mont-Royal dans l'arrondissement du Plateau Mont-Royal. Aujourd'hui, plusieurs mois plus tard, la même rue se transforme encore une fois. Comme de nombreuses autres rues commerciales à Montréal, l'avenue Mont-Royal a été convertie en zone piétonne et le projet s'étend sur environ 2.7KM.
Les terrasses des restaurants bordent les trottoirs et débordent dans l'avenue, des bancs temporaires ont été installés à plusieurs endroits, des formes et dessins bleus ont été peints sur le pavé, des performances musicales spontanées et des spectacles pop-up ont lieu tout au long de la semaine, et les vrombissements et klaxons des voitures et camions sont remplacés par les conversations et la musique.
Afin de faciliter la relance des commerces et restaurants locaux pendant la pandémie COVID-19, l'arrondissement du Plateau Mont-Royal a choisi de supprimer les espaces de stationnement de l'avenue, de rediriger la circulation routière, de rendre l'avenue piétonne, et d'encourager résidents et visiteurs à manger et acheter dans le quartier tout en gardant la distance sociale recommandée. Des distributeurs de désinfectant pour les mains ont été installés à divers endroits le long de l'avenue et les masques sont obligatoires pour entrer dans les établissements. Le port du masque dans les espaces publics ou privés fermés ou partiellement fermés n’est pas uniquement une exigence montréalaise, puisque le règlement s'applique à toute la province du Québec pour les individus de 12 ans et plus.
Alors, quel est l'impact du réaménagement de la rue pour les parties touchées par la transformation ? Pour répondre à cette question, il nous faut des données qualitatives et quantitatives et les résultats pourront être très variés pour chacune des différentes parties prenantes et en fonction des critères choisis pour évaluer le succès du projet (c.-à-d. indicateurs économiques, ambiance et attractivité, impact sur l'écosystème naturel, mobilité, santé et sécurité, inclusion et équité, etc.). Nous devons tenir compte des effets sur les différents utilisateurs qui fréquentent le quartier tels que : résidents selon leur groupe d'âge ; non-résidents par groupe d'âge ; personnes à mobilité réduite ; sans-abris ; propriétaires de commerces ; employé(e)s des commerces ; propriétaires de restaurant ; employé(e)s des restaurants ; services de livraison ; opérateurs de transport public et privé ; employé(e)s de la ville ; etc.
Il ne m’appartient pas de parler pour les autres utilisateurs de l'espace, mais je peux vous donner mon point de vue en tant que designer urbain, chercheuse, et résidente du quartier. Personnellement, j'adore ! Pourquoi ? En plus de la satisfaction de voir nos commerçants locaux rouvrir, j'apprécie énormément la transformation de l'ambiance de la rue au cours des dernières semaines. D’abord, la disponibilité d'un espace public plus ouvert donne aux artistes et musiciens un lieu de partage de projets et d'expérimentations. Ces performances pop-up sont gratuites et accessibles à quiconque veut s'arrêter pour regarder, écouter ou même participer (les dons sont toujours bienvenus, mais pas obligatoires). Par exemple, un groupe de Roller Dance qui s'appelle Roller Dance - Parc La Fontaine a fait une performance sur l'avenue avec la collaboration du DJ Max Toupin, qui faisait tourner ses disques depuis sa chaise roulante (vidéo en dessous). C'est ce genre de projet qui rend Montréal si unique et précieuse.
Je suis tombée par hasard sur une autre performance intitulée, « Une heure de câlin | en public. » Sous forme de flashmob, avec une approche artistique, des couples et duos avaient été invités à se faire un câlin pendant une heure au milieu de l'avenue Mont-Royal. L'événement a été organisé par Patrice Marier et Julius Bitterling parce qu'ils se sentaient « un besoin de voir plus d'amour autour d’eux. » Les créateurs ont expliqué que leur intention n'était « pas de manquer de respect pour les règles de distanciation sociale, ou de provoquer, mais plutôt d'encourager une intimité, une vulnérabilité et une réceptivité profondes avec les quelques personnes avec lesquelles nous pouvons être proche en ce moment. »
Certaines personnes entreprenantes utilisent spontanément l'espace pour vendre et même fabriquer leurs produits. Les personnes à mobilité réduite ont beaucoup plus de marge de manœuvre (demander à DJ Max) et un service gratuit de navettes est offert aux personnes âgées et à mobilité réduite pour compenser la suppression du service de bus qui descendait l'avenue.
L'installation de mobilier urbain temporaire permet aux passants de s'asseoir, se relaxer et profiter de l'ambiance sans même dépenser «a loonie» ($1 Canadien). Plusieurs aménagements fournissent une toile ou un toit pour s'abriter des puissants rayons du soleil estival ou se protéger des intempéries. Et puisque la plupart des terrasses et mobiliers temporaires contiennent des bacs à fleurs et des plantes, je ne peux qu’imaginer la joie des pollinisateurs du Plateau. En outre, l'intégration de terre et de verdure dans une zone de pavé et de béton contribue également à réduire les ruissèlements après la pluie.
Les jeunes enfants sont l'un des groupes d'utilisateurs bénéficiant le plus de ces zones plus conviviales aux piétons. Le quartier voisin d'Outrement a choisi de convertir une poignée de blocs sur la rue Bernard en zone piétonne et les enfants semblent être les premiers à en profiter. Les enfants semblent heureux de pouvoir échapper aux conversations des adultes à table pour entrer dans un monde imaginaire de dessins à la craie et de jeu libre. Les petits ont également plus d'espace pour bouger et danser si la musique ou l'ambiance leur plaît. Bien qu'il soit généralement interdit de faire du vélo dans les zones piétonnes (et pleins de gens ignorent cette règle), nous voyons souvent des tout-petits rouler aux côtés de leurs parents sur ces mini-vélos sans pédales. Une rue sans voitures est bien sûr un endroit beaucoup plus sécuritaire pour un petit qui apprend à faire du vélo.
Certains des commerçants de l'avenue Mont-Royal ont une bonne partie de leur clientèle qui habite hors du quartier, voire même hors de l'île de Montréal. La majorité de ces clients y viennent typiquement en voiture. Il reste donc à voir l'impact de la suppression de parking et des changements de circulation sur l’activité de ces commerces. Est-il possible que certains clients qui venaient habituellement en voiture décident plutôt de faire leurs achats sur le Web? Bien sûr, certains commerçants, comme le magasin Néon, qui vendent des biens de consommation (chausseurs, vêtements, sacs, etc.) seront plus touchés que les salons de coiffure et les restaurants. On ne peut qu’espérer que les clients viennent quand même et que l'augmentation du trafic piéton du quartier étoffe la clientèle actuelle. Cela dit, ces espoirs et ces suppositions n’auront rien de concret tant que nous n’aurons pas de données collectées.
Seul l’avenir nous dira si les avantages escomptés de la transformation de l'avenue en zone piétonne dépassera les coûts et les inconvénients. Quel qu’en soit le résultat économique, l'ambiance de l'avenue ces dernières semaines a été plus vivante, plus conviviale et plus colorée. Se balader sur l'avenue en est devenu une expérience en soi et la rue en est transformée en un lieu offrant beaucoup plus que simplement acheter, faire les courses et manger. C'est maintenant aussi un lieu de rencontre entre amis, familles, voisins et visiteurs, stimulant la vue, l’odorat, l’ouïe et le goût tout en maintenant les pratiques de distance sociale.
Lorsque nous valorisons la santé et le bonheur des citoyens autant que les indicateurs économiques traditionnels de réussite, nous sommes certainement sur la bonne voie pour concevoir de meilleures villes pour l'avenir.